L’Interview d’Alain Elkann
GIBERTO ARRIVABENE
Sa famille possède depuis 200 ans le Palazzo Papadopoli, un bijou du XVI siècle sur le Grand Canal devenu en 2013 un hôtel Aman. L’aristocrate, qui réside toujours au palais et possède une verrerie à Murano, nous fait partager son amour pour Venise.
5 juin 2021
Votre Palazzo Papadopoli, sur le Grand Canal de Venise, est reconnaissable aux deux obélisques qui le surmontent. Ça fait quoi de vivre dans un tel endroit?
J’ai beaucoup de chance, je dois dire. Il s’agit d’un des huit palais monumentaux de Venise. C’est très complique d’entretenir une demeure de cette taille, et c’est un problème qui m’a per suivi toute mon existence. Mon pere est mort quand j’avais 9 ans, j’étais le seul garçon, et j’ai dû très tôt affronter la situation financière de la famille, qui n’était pas bonne. Par chance, nous avions on contrat de longue durée avec l’Institut National de Recherche Environnementale sur la lagune, qui nous versait un loyer confortable. Mais quand ils ont quitté les lieux, nous avons dû trouver des solutions. Le palais fait plus de 7000 mètres carrés, et il ne peut être loué que dans son intégralité, pas just une partie, car la legislation italienne est très complexe. C’était un gros problème, nous étions très endettes. Ma mere s’est mise à vendre tous les meubles, et le palais s’est retrouvé vide. Il était très difficile de le louer, d’en faire quelque chose. Mes deux soeurs, qui sont copropriétaires du palais avec moi, voulaient vendre mais j’ai refusé. C’était une question d’honneur à mes yeux, car dans notre famille, tout le monde vend des propriétés depuis deux générations. Mais trouver une solution s’est révélée très difficile.
C’est un monument national?
Oui, comme tous les palais qui donnent sur le Grand Canal. Ma femme et moi nous sommes mis à louer une partie de la maison pour des fêtes et des mariages. Mais ça ne suffisait pas à financer l’entretien de l’ensemble. Un jour, Adrian Zecha, le fondateur d’Aman Resorts et l’homme le plus charmant du monde, a appelé un de mes amis en disant qu’il voulait me parler. Je ne souhaitais pas en faire un hôtel, car j’avais le projet de le transformer en appartements mais nous sommes devenus amis. Dans mon atelier, là où je me trouve maintenant, il m’a dit: Gibi, je veux reprendre ce lieu. Ça fait quinze ans que je cherche l’emplacement ideal pour faire un Aman Resort à Venise. C’est le seul palais avec Tiepolo qui possède deux jardins, il me le faut. J’ai répondu: Il n’est pas à vendre, j’en ai peur. Pour moi, vendre était exclu, alors j’ai proposé: On peut le louer, mais on ne peut pas faire plus des quarante chambres ou appartements, car si ça ne marche pas, je dois pouvoir les vendre, sans quoi je refais faillite. Et surtout, j’y habite avec ma femme et mes cinq enfants, et je ne veux pas déménager. Il m’a fait un sourire oriental, tout en charme, et il a répliqué: Gibi, on la louer. Quarante, pour un Aman, c’est plus qu’assez, et mes clients seront ravis de te rencontrer. Le tour était joué.
Vous habitez le dernier étage at les combles du palais, avec une vue incroyable, et c’est comme si les clients de l’Aman étaient vos invités. Vous circulez dans l’hôtel, ils vous voient. Êtes-vous un atout pour l’hôtel?
C’est indispensable qu’ils me voient comme un atout, histoire qu’ils ne se mettent pas en tête de me mettre un jour à la porte. En arrivant à l’Aman, dans votre chambre, vous pouvez regarder un film sur la restauration du palais et la famille. Après ça, les clients on envie de me rencontrer. Ils me demandent comment c’est de vivre dans un Aman et, je dois dire, c’est le rêve. J’ai beaucoup, beaucoup de chance.
Vous n’êtes pas seulement de passage à Venise, vous y habitez vraiment, et votre verrerie Giberto est votre passion et votre travail. Vous avez une spécialité tout à fait unique, qui consiste à realiser des copies en verre d’anciens bustes romains. Vous êtes fier de cet exploit?
Le vrai tour de force a été de reproduire la Paolina Borghese de Canova avec 77 kilos de verre. Nous sommes allés à la Galerie Borghese et nous avons scandé la sculpture, puis s’en est suivi une longue procedure consistant à realiser un moule en plâtre, puis en cire et enfin le verre. J’ai fait ce travail avec mon ami Adam Lowe, un gentleman anglais qui possède Factum Arte, un des plus grandes spécialistes au monde de reproduction d’œuvres d’art. Notre Paolina a été achetée par le Victoria and Albert Museum à Londre, où elle est dans l’exposition permanent, et j’en suis très fier. L’etape du travail du verre à Murano est la plus passionnante, c’est ca que j’aime faire. Murano est un endroit merveilleux.
Vos verres sont très particulier. N’y a-t-il pas débat entre votre femme et vous sur un des vos modèles – l’un de vous va dire que l’un resemble à une larme, l’autre que ca ressemble à une goutte?
Je dis que c’est une larme, elle dit que c’est une goutte, parce que je suis le plus romantique des nous deux! À chaque fois que je dis ça, elle rit: Non, c’est une goutte. Mais c’est vraiment une larme, et l’adore. C’est très difficile à fabriquer, parce que la larme doit être réalisée au tout dernier moment, avec la quantité exacte de verre. Pour réussir un modele, en general, il faut en jeter un ou deux.
Pourquoi les Vénitiens ont-ils tant d’empathie pour les étrangers, qui adorent passer du temps à Venise?
En premier lieu, les Vénitiens sont habitués, et en second lieu, ce sont des marchands. Tant que les gens arrivent avec de l’argent, louent des maisons et paient, ils sont bienvenues.
Votre femme Bianca, qui a grandi en Toscane, est une princesse de Savoie, elle est aussi la petite-fille du comte de Paris. Depuis 35 ans elle est avec vous à Venise, où elle travailla chez Christie’s. Vous êtes tous deux ambassadeurs de la cité des Doges. Ça vous fait plaisir, de voir des étrangers aimer votre ville?
Absolument, nous sommes très fiers de notre ville. Et Bianca en fait plus que moi, car je suis très paresseux. Je ne suis pas très mondain, j’aime rester à la maison, lires mes livres, dessiner mes verreries et aller à Murano.
Que faites-vous en attendant patiemment la réouverture de Venise?
Avec Bianca, nous travaillons beaucoup à verreries. Le plus difficile, c’est de créer quelque chose d’inédit, car nous faisons des verres depuis trois ou quatre mille ans. Faire un objet en verre qui suscite une émotion qu’on n’a jamais eue, c’est ce qu’il y a de plus compliqué.
Ça a été facile d’élever cinq enfants à Venise?
Oui, fantastique. Les enfants ne risquent pas de se noyer dans le Grand Canal. D’abord, les Vénitiens ne tombent jamais dans le canaux, car nous sommes habitués à vivre sur l’eau. Ça n’arrive qu’aux touristes. Les accidents peuvent arriver, sans doute, mais ils sont beaucoup plus rares que dans ne ville normale avec des motos et des voitures. Mes quatre filles sont adultes et vivent dans le monde entier, mais elle rentrent souvent et elles adorent Venise.
Que suggéreriez-vous à un ami qui vient à Venise pour la premiere, le temps d’un bref séjour?
Ça dépend de la saison. Je ne lui dirais pas de venire en août, parce qu’il fait une chaleur à crever. Il faut venir en juin, un mois magnifique. Il y a tant de choses à voir à Venise. Il y a 270 églises, certaines plus belles que l’autres. Prenez un bon guide, pour vous raconter l’histoire de Venise et vous amener dans les endroits les plus importants, puisqu’on ne peut pas tout voir en deux ou trois jours. Il faudrait rester un an. Quand je me balade, je remarque systématiquement un detail que je n’avais jamais vu: une porte, une église, un tableau dans une église, une sculpture en marbre au-dessus d’une fenêtre. Bien sûr, il faut voir la basilique Sant-Marc, l’une des plus belles églises du monde à mon sens. Et il faut aller dans les iles, Murano ou Torcello, où l’église a près de 2000 ans, les marbres du dallage sont inoubliables. Le minuscule Locanda Cipriani, à Torcello est un excellent restaurant.
Quel est votre restaurant préféré près du palais?
Antiche Carampane pour la cuisine, et Harry’s Bar pour boire un verre.
Que boirez-vous ou Harry’s Bar et que mangerez-vous au Carampane quand ils auront rouvert?
Le martini du Harry’s Bar est fameux, et au Carampane, je prendrais les spaghetti del Doge, avec du crabe.
Quels sont les bons vins vénitiens?
Il y a un cépage très spécial, le dorona, c’est la seule variété autochtone issue de Venise. Désormais, la production est repartie entre toutes les iles de la lagune, et elle donne un vin unique.
Avez vous une anecdote sur l’histoire de la consommation de vin dans l’aristocratie vénitienne?
Venise a toujours été un epicentre du commerce et le vin jouait un rôle fondamental dans toutes les ceremonies aristocratiques. Il a été la clé permettant de sceller les accords les plus importants de l’histoire de la ville.
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